Tant d’inexactitudes –dues à des confusions de dates– ont été publiées sur la fin de la guerre 1914-1918 qu’une mise au point nous paraît nécessaire.
Une première date est à retenir : le 7 novembre 1918.
Elle intéresse notre département de l’Aisne puisqu’elle concerne le passage à Haudroy sur le territoire de La Flamengrie, des plénipotentiaires allemands venus demander au maréchal Foch les conditions d’un armistice.
Précédant l’illustre journée du 11 novembre, deux dates sont également à retenir : celles des 9 et 10, journées glorieuses pour nos armes au cours desquelles, à 70 km de là, dans le département voisin des Ardennes, fut exécuté un coup d’audace ordonné par Foch : le passage de la Meuse par surprise. L’opération destinée à contraindre les Allemands à signer les conditions d’armistice fut suivie de furieux et sanglants combats. Nous en parlerons plus loin.
Nous avons consulté les excellents ouvrages relatant les événements survenus du 7 au 11 novembre : « L’année du 11 novembre » (R.G. Nobécourt). « Le 11 novembre » (Jacques Meyer). « Les chemins de l’Armistice » (François Debergh et André Gaillard). « Passage de la Meuse par la 163e Division » (Colonel A. Grasset). Voici ce que nous en avons extrait :
Que s’est-il passé le 7 novembre ?
A 20 heures 20, à Haudroy se présentent aux avant-postes du 171e R.I. plusieurs voitures allemandes tous phares allumés. Sur la première un porte-fanion avec un immense drapeau blanc. Un Allemand sur le marchepied sonne de la trompette. Le Lieutenant Hengy, commandant la 3e compagnie du 171e R.I., muni d’une lampe de poche fait signe de stopper. Auprès de lui, le capitaine Lhuillier, commandant le 1er bataillon du 171e R.I., dans la lumière des phares, lève puis abaisse le bras. Les voitures allemandes s’arrêtent.
De la voiture de tête descend un officier qui demande le commandant des avant-postes. De la deuxième voiture descend le général von Winterfeld. Le chef de bataillon se présente : « Capitaine Lhuillier ». Le général allemand, en un français impeccable, s’excuse du retard causé par le mauvais état des routes. Il veut présenter les membres de sa mission. « Général, répond Lhuillier, je n’ai pas qualité pour vous recevoir. Veuillez remonter en voiture et me suivre ». Le capitaine Lhuillier prend place dans la première voiture, appelle le caporal-clairon Pierre Sellier et lui donne l’ordre de sonner le cessez-le-feu. Le caporal-clairon Sellier, de pied ferme, exécute la sonnerie et prend la place du trompette allemand sur le marchepied de la première voiture. Dès la mise en route du convoi, il sonne le garde-à-vous et les refrains des unités d’infanterie de la 166e D.I. : 171e R.I., 19e et 26e Bataillons de chasseurs. Ces sonneries sont répercutées par les autres clairons du secteur de la 166e D.I. Il a été convenu avec la mission parlementaire officielle ennemie que la suspension d’armes notifiée n’était valable que jusqu’à minuit. A partir de minuit les deux adversaires reprennent leur liberté d’action complète. Ainsi ce premier cessez-le-feu est-il limité dans le temps. Et il ne concerne que le secteur de la 166e division.
Voici les voitures allemandes arrivées au P.C. du commandant Ducornez, commandant le 19e
B.C.P. situé à 1 200 mètres à l’arrière. Le commandant Ducornez conduit le général von Winterfeld à la villa Pasques à La Capelle sur la route d’Hirson où il est attendu avec son escorte par le commandant de Bourbon-Busset, chef du 2e Bureau de la 1ère armée.
Winterfeld, de nouveau, s’excuse du retard. Bourbon-Busset fait entrer les sept plénipotentiaires que suivent trois allemands membres du personnel. Il introduit les plénipotentiaires dans le salon où se trouve un certain nombre d’officiers français. Après les présentations le commandant de Bourbon-Busset veut dissiper une équivoque : « Il est bien entendu que les opérations continuent … » Assurément, répond Winterfeld, c’est une erreur d’interprétation … » N’a-t-on pas cru, dans les lignes allemandes, que la guerre était finie ! Un lieutenant allemand, von Jacobi, s’était en effet présenté aux avant-postes français de la part de son général s’étonnant que les Français n’aient pas observé la suspension des hostilités que lui-même avait ordonnée …
Le commandant de Bourbon-Busset annonce aux Allemands que des voitures françaises vont les transporter jusqu’au Q.G. du général Debeney commandant la 1ère armée. De là, ils seront conduits auprès du maréchal Foch.
Dès leur départ, vers 22 heures, le commandant Ducornez envoie l’ordre suivant : « La mission parlementaire officielle ennemie a confirmé que la suspension d’armes notifiée n’était valable que jusqu’à minuit. En conséquence, à partir de minuit, les deux partis reprennent leur liberté d’action complète ».
Ayant appris que des officiers et soldats se présentaient aux avant-postes dans le but de fraterniser, le P.C. de la 166e D.I. avait diffusé la note suivante : « Le passage des plénipotentiaires allemands n’occasionne nullement la cessation des hostilités. Toute troupe allemande qui se présente devant nos avant-postes doit être traitée comme auparavant. Si elle ne se rend pas prisonnière on doit tirer dessus. Aucune conversation ne doit être tolérée ». (Op. R.G. Nobécourt cit.)
Entre temps parvenait un radiogramme prolongeant la suspension d’armes jusqu’au 8 novembre à 6 heures.
Dans la nuit les plénipotentiaires roulaient lentement vers Saint-Quentin. Arrêt prévu au presbytère d’Homblières où un dîner leur est servi.
Puis c’est le départ pour l’état-major de Foch. Ils passent par Tergnier complètement détruit où, dans la gare en ruines, les attend un train qui les mènera à Rethondes. Le maréchal Foch leur fera connaître les conditions d’armistice qu’ils sont venus solliciter.
Un des membres de la mission allemande, le capitaine von Helldorff, interprète, est chargé de porter ces conditions à Spa (Belgique) où se tient le Haut Commandement allemand. Ce 8 novembre, il n’arrivera aux lignes françaises qu’à 19 heures 30. Comme on va le voir il sera exposé avec ses guides français, et à plusieurs reprises, à de graves dangers.
Von Helldorf a besoin des accessoires rituels nécessaires à sa mission. Le commandant de Bourbon-Busset qui l’a accompagné le conduit au P.C. du commandant Ducornez. Il reste sur chacune des Mercédès, rangées la veille près de la villa Pasques, un grand morceau des drapeaux blancs.
Deux de ces voitures précèderont le cabriolet français de Dion.
Il faut un clairon. Ce sera le chasseur Philippe Roux au 19e B.C.P. Avec lui le commandant de Bourbon-Busset emmène le lieutenant de Kerarmel, officier de renseignements du 19e B.C.P.
Les autos, tous phares allumés, s’engagent sur la route d’Haudroy. Au passage de la cote 232, le capitaine Lhuillier prévient le commandant de Bourbon-Busset que, malgré la suspension d’armes, une mitrailleuse allemande ne cesse de tirer. Bourbon-Busset décide de forcer le passage. Le clairon Roux continue de sonner tandis que les voitures avancent, phares toujours allumés. Des chasseurs avertissent le commandant de Bourbon-Busset que le carrefour de Clairfontaine est battu par une mitrailleuse. Le commandant et le capitaine von Helldorff décident d’aller à pied avec de Kerarmel devant les trois voitures de façon à être éclairés. Ils arrivent au carrefour. Une courte rafale se déclenche. De Bourbon-Busset et de Kerarmel passent. Von Helldorff doit se mettre à l’abri d’une maison. De Kerarmel revient, prend le drapeau blanc et accompagné de Roux qui continue de sonner, reprend sa marche en avant, suivi de von Helldorff. Au carrefour, nouvelle giclée. Le drapeau reçoit deux balles.
Le clairon Roux pense que ce serait idiot de se faire descendre maintenant après être passé au travers pendant quatre ans. Et voilà une rafale d’obus qui s’abat 200 mètres devant eux. Le commandant de Bourbon-Busset décide de s’en retourner. A 22 heures 30, à La Capelle, il rend compte à la 1ère armée des événements qui se sont déroulés.
A minuit le téléphone retentit. Il faut faire une nouvelle tentative. Le commandant de Bourbon-Busset et le capitaine von Helldorff remontent en voiture, prenant le lieutenant de Kerarmel et le clairon Roux.
Ils retournent à l’endroit où ils avaient fait demi-tour. Ils mettent pied à terre. Cette fois la mitrailleuse et les canons ne tirent plus.
Enfin, après toutes sortes de péripéties dues au terrain bouleversé, le capitaine von Helldorff put joindre la route de Fourmies et de là gagner les lignes allemandes. C’était le 9 novembre à 14 heures 20.
A la même heure, dans la région voisine des Ardennes, comme nous l’évoquions plus haut, le général Boichut commandant la 163e D.I. visitait les cantonnements et l’artillerie de son unité qui avait atteint la Meuse le 8 novembre.
A cet instant, nous nous faisons un devoir de laisser le colonel A. Grasset nous narrer dans son remarquable ouvrage « Passage de la Meuse par la 163e division » les événements qui se sont succédés :
« Vers 17 heures, dans la région de Terron-les-Poix, il (général Boichut) rencontre une auto au fanion tricolore. Le général Marjoulet, commandant le 14e corps, en descend.
– Je viens de votre état-major, lui dit-il. J’y ai laissé un ordre écrit. Ordre de l’armée , il faut franchir la Meuse, cette nuit.
Le commandant de la 163e D.I. croit d’abord à une plaisanterie.
On sait bien, par les radios, que l’armistice va être signé dans quelques heures. Mais le général Marjoulet insiste :
– Il faut passer la Meuse …
Tout autre que le général Boichut n’eût pu que s’incliner sans élever la moindre objection, mais sa réputation, à lui, était assise sur un trop grand nombre d’actions d’éclat pour qu’aucun soupçon ne pût la ternir.
– Les troupes sont fatiguées, dit-il. Elles s’attendent à un repos qui leur est indispensable.
– Il faut passer.
– L’obstacle est considérable. Je l’ai reconnu. Ponts et passerelles sont impraticables, sinon détruits. Les équipages de pont sont sur l’Aisne et nous n’avons aucun moyen de franchissement …
– Il faut passer ; il le faut, à tout prix. L’ennemi hésite à signer l’armistice. Il se croit à l’abri derrière la Meuse. Il faut frapper son moral par un acte d’audace. Passez comme vous pourrez : au besoin sur les voitures de vos convois mises en travers du fleuve. Il faut … question de moral …
– Question de moral, répond le général Boichut ; dans ce domaine, rien n’est impossible. On passera … »
Et ils passèrent !
Ils passèrent sur d’étroites passerelles bientôt couvertes de verglas que, par un véritable exploit des compagnies divisionnaires du Génie avaient établies de nuit par un froid de –6 degrés, sur un fleuve en crue large de 70 mètres. Grâce aussi à la complicité d’un brouillard intense.
Une partie de l’Infanterie de la 163e D.I. (142e R.I et 415e R.I.) à laquelle avait été joint le 19e R.I. de la 22e D.I., franchit ainsi la Meuse.
Le 53e R.I. de la 163e D.I. était resté en soutien de ses deux autres régiments, prêt à intervenir.
Cela se passait à 10 km à l’ouest de Sedan sur un front allant de Flize à Nouvion-sur-Meuse et à Vrigne-Meuse. Le 415e R.I. avait rempli sa mission en s’emparant de la cote 249 (signal de l’Epine).
Le 10 novembre, vers 10 heures, le brouillard se dissipa brusquement. La surprise des Allemands fut totale. Mais ceux-ci eurent vite fait de se ressaisir. Les Français avaient affaire à 4 régiments dont 3 d’élite appartenant à la Garde prussienne ! Et 200 mitrailleuses environ.
A quelques heures d’intervalle l’ennemi déclencha deux furieuses attaques qui furent repoussées. Une troisième parvint à enfoncer partiellement la première ligne du 3e bataillon du 415e R.I. qui réussit cependant à contenir les Allemands avec l’appui d’une section de mitrailleuses judicieusement gardée en réserve par le lieutenant Bonneval. Les combats furent sanglants au corps à corps, à la baïonnette.
La Meuse avait été franchie. La mission était accomplie !
Enfin, le 11 novembre à 11 heures, les clairons de la 163e Division exécutèrent successivement les trois sonneries : « Cessez-le-feu », « Garde-à-vous », « Au drapeau ».
Aussitôt, hurlée par des milliers de poitrines, jaillit la Marseillaise. L’émotion était telle, après ces deux exténuantes journées de combats, que certains se mirent à pleurer.
Quelle émouvante et inoubliable minute !
Inoubliable, en effet. Car 59 ans après, le lieutenant Bonneval qui avait commandé la C.M.3 du 415e R.I. écrivait avec émotion :
« Ah ! Cette Marseillaise de l’Armistice, il faut l’avoir « gueulée » ce jour-là, face à l’ennemi, pour en comprendre les accents sublimes … ».
Puis racontant les instants qui suivirent :
« J’accompagne le capitaine Lebreton, commandant le 3e bataillon, qui tient à faire la tournée de son bataillon. Près du Signal de l’Epine, nous rencontrons un major allemand, en grande tenue, absolument impeccable. Je lui demande de ramener dans nos lignes les corps des soldats français tombés dans les leurs. En excellent français, il nous répond que ce sera pour lui un devoir de rendre les derniers honneurs à des soldats ayant fait le sacrifice de leur vie, la veille de la fin de la guerre, et qu’ils se sont TERRIBLEMENT BIEN BATTUS. »
C’était fini !
Mais ces combats des deux dernières journées, les 10 et 11 novembre, nous avaient coûté 92 TUES et 225 BLESSES !
Précisons que le dernier tué du 415e R.I. fut le soldat Trébuchon tombé vers 10 h 45 le 11 novembre : un quart d’heure avant la fin …
Il avait 22 ans ! Vraisemblablement le dernier tué de la guerre 14-18 …
Dans son ouvrage, le colonel A. Grasset rappelle :
« Le communiqué officiel du 11 novembre, 14 heures, le dernier communiqué de la guerre, contient cette phrase laconique :
A la suite de durs combats, nous avons forcé le passage de la Meuse entre Vrigne et Lumes. »
Dix-sept soldats du 415e R.I. reposent dans le petit cimetière de Vrigne. Leurs tombes sont pieusement entretenues par les habitants de ce village.
Enfin, un monument élevé à la cote 249 à Vrigne commémore, par la date du 11 novembre, le dernier combat de la guerre livré par la 163e D.I. :
« A LA 163e DIVISION ET A SES GLORIEUX MORTS »
Les Anciens Combattants de cette division furent aimablement invités par le Comité du Souvenir de la Pierre d’Haudroy à s’associer à la célébration du 42e anniversaire du 1er cessez-le-feu du 7 novembre 1918.
Nous nous faisons un devoir de reproduire l’excellent article publié à ce sujet par « L’AISNE NOUVELLE » du 12 novembre 1960.A l’honneur dimanche à HAUDROY :
LES A.C. DE LA 163e D.I.
qui luttèrent jusqu’au bout sur la Meuse après le cessez-le-feu du 7 novembre.« Parmi les nombreuses délégations d’A.C. qui se pressaient, dimanche à Haudroy, pour la célébration du 42e anniversaire du cessez-le-feu, figurait celle de la glorieuse 163e division (53e, 142e et 415e R.I., 244e R.A.C., 104e R.A.L.), qui non loin de là, dans les Ardennes, les 10 et 11 novembre 1918, livra la dernière offensive de la guerre.
C’est avec émotion que les anciens de la 163e évoquaient le souvenir de leurs camarades tombés dans les combats des « Trois derniers communiqués alors qu’ailleurs les armes s’étaient tues et que se négociait l’armistice.
POUR EUX, POUR QUE CETTE PAGE D’HISTOIRE NE SOMBRE PAS DANS L’OUBLI, « L’AISNE NOUVELLE » A TENU A RAPPELER CET EPISODE FINAL –ET ENCORE SANGLANT, HELAS- DE LA GRANDE GUERRE.
D’après « Regards sur la France » (numéro spécial pour le 40e anniversaire de l’Armistice) et de « Passage de la Meuse par la 163e D.I. » du colonel Grasset. Editions Berger-Levrault.
8 NOVEMBRE 1918 :
Première entrevue des plénipotentiaires allemands avec le maréchal Foch, qui leur donne lecture des conditions d’armistice. Le général allemand sollicite une suspension d’armes. Il lui est répondu : « Impossible ! » Le délai accordé pour la réponse du gouvernement de Berlin est de 72 heures.
Mais l’Allemand ergote. Les milieux officiels français se demandent si l’adversaire va accepter les conditions qui lui sont faites tant elles sont dures.
Foch veut en finir et décide de mettre l’adversaire au pied du mur. Il donne l’ordre de faire « forcer immédiatement et sans délai, et à n’importe quel prix, le passage de la Meuse par la grande unité la plus proche. »
C’est ainsi que ce redoutable honneur revint à la 163e D.I. (Boichut), appuyée par le 19e R.I. de la 22e D.I. A deux régiments de la division (415e R.I. et 142e R.I.) et au 19e R.I. parvint à 20 heures, alors que les hommes goûtaient un quasi-repos après dix jours et dix nuits de poursuite, l’ordre de franchir la Meuse.
DANS LA NUIT GLACIALE
10 NOVEMBRE : Fleuve glorieux déjà par l’épopée de Verdun, il allait connaître les derniers combats. 70 mètres de large, coulant à 1 mètre-seconde, trois ponts sautés : ce fut, dans la nuit glaciale, par des moyens de fortune et au prix de quelles pertes, que le 10 au petit jour, le 415e R.I. (ses trois bataillons), le 142e (un bataillon), le 19e (un bataillon), se trouvèrent sur la rive droite de la Meuse, dans un brouillard intense.
A 10 heures 30, lorsque, d’un seul coup, le brouillard se leva, les cinq bataillons durent faire face aux assauts répétés des trois régiments d’élite de la 4e Division de la Garde, renforcée par le 367e Régiment d’Infanterie, les « Maïkafer ».
Attaques, contre-attaques. Le 19e et le 142e R.I. ne purent progresser et se maintinrent au nord de Flize. Le 415e R.I., lui, réussit, au prix de lourdes pertes, à se maintenir à l’est de Nouvion, à la cote 249, pour rejoindre la gare et les premières maisons de Vrigne. L’artillerie française ne pouvait intervenir dans la mêlée. Pourtant, à partir de 13 heures, renforcée par de nombreux régiments de campagne et d’artillerie lourde, elle arrosait les points supposés de rassemblement, ainsi que l’arrière immédiat.
La nuit, ce fut un duel d’artillerie rappelant « l’enfer de Verdun ».
Puis les mitrailleuses entrèrent en action au petit jour, toujours dans le brouillard, les feux d’infanterie se ralentissant légèrement, sans toutefois cesser.
TOMBE 10 MINUTES AVANT L’ARMISTICE
LE 11 NOVEMBRE au matin, le 415e s’attendait à reprendre l’attaque lorsque parvint, à 9 heures 45, au P.C. avancé (3e Bataillon, capitaine Lebreton), la note manuscrite annonçant pour 11 heures la cessation des hostilités.
A 10 heures 50, un agent de liaison (de la classe 17), tel le coureur de Marathon, agitant un papier relatant les ordres pour le ravitaillement, fut atteint par une rafale de mitrailleuse.
Au même moment, le P.C. du 3e Bataillon, établi dans un trou d’obus, était à la recherche d’un clairon. D’un trou d’obus voisin, on put joindre le clairon Delaluque, de la 11e Cie, subsistant depuis le 26 septembre à la 3e Cie de Mitrailleurs. Rampant et sautant dans le trou d’obus faisant office de P.C., le capitaine Lebreton lui donna l’ordre de se préparer à sonner dans quelques instants le « cessez-le-feu ». Le pauvre garçon, tout ému, déclara ne pas se souvenir de cette sonnerie qu’il n’avait pas jouée depuis 1913. Dans les poches de sa capote, il finit par trouver l’embouchure de son clairon toute pleine de tabac. Le capitaine Lebreton lui siffla la sonnerie et Delaluque essaya discrètement son instrument.
LA FIN DES COMBATS
A 11 heures précises, du trou d’obus, il sonnait le « garde-à-vous », suivi du refrain du 415e, puis le « cessez-le-feu », auquel répondirent les trompettes de la Garde prussienne. Puis ce fut la sonnerie « Au Drapeau » suivie du chant de la « Marseillaise » par tous les survivants français, alors que les Allemands criaient « Republik ! Republik ! … »
Ces ultimes combats firent l’objet des trois derniers communiqués : 10 novembre 14 heures, 10 novembre, 22 heures et 11 novembre, 14 heures. Ils eurent pour douloureux bilan :
– au 415e : 73 tués, 161 blessés
– au 142e : 7 tués, 38 blessés
– au 19e : 12 tués, 26 blessés- AINSI SE TERMINA LA GUERRE 1914-1918 –Est-elle contée partout de la même façon ?
Les pages précédentes ont mis en relief deux événements importants :
1) – Le premier cessez-le-feu de la guerre sonné par le caporal clairon Sellier à Haudroy le 7 novembre à 20 heures 20 pour permettre le passage des plénipotentiaires allemands.
2) – Le franchissement de la Meuse par la 163e Division le 9 novembre.
C’est le 11 novembre à 11 heures que le dernier cessez-le-feu de la guerre a été sonné par des centaines de clairons sur tout le front.
Mais c’est bien en plein combat qu’à Vrigne-Meuse le clairon Delaluque est sorti de son trou de torpille, au péril de sa vie, pour sonner à l’heure prescrite le dernier et décisif cessez-le-feu.
Seuls ont souligné cet épisode quelques historiens qui ont puisé leur documentation auprès des A.C. ayant participé aux derniers combats sur la Meuse.
Bien que distants de quelques 70 km ces deux événements ne peuvent historiquement être dissociés.
C’est ce qu’en termes excellents M. le Général Houllier, Président du Comité du Souvenir de la Pierre d’Haudroy, a officiellement proclamé le 6 novembre 1960 en présence de M. Triboulet, ministre des Anciens Combattants. Nous nous faisons un devoir de reproduire ci-dessous cette partie de son discours que nous avons retrouvée dans un vieux bulletin de l’Association des A.C. de la 163e Division.
« Messieurs, c’est cette belle et magnifique 163e Division qui eut le douloureux privilège de la dernière et très dure attaque pour le franchissement des passages de la Meuse dans la nuit du 9 au 10 novembre. 92 tués, 225 blessés, tel fut le bilan de cette attaque pour les trois régiments d’infanterie, qui eurent le magnifique honneur des trois derniers communiqués des 10 et 11 novembre 1918.
« Si le clairon Sellier, du 171e R.I., a sonné ici même le premier cessez-le-feu, celui de l’espérance, le 7 novembre 1918, il n’en est pas moins vrai que c’est le clairon Delaluque, du 415e R.M.I.A., qui, à Vrigne-Meuse, face aux Prussiens de la 4e Division de la Garde Bavaroise et du 367e Régiment de Fusiliers, a égrené en première ligne les notes de l’Armistice le 11 novembre 1918 à onze heures du matin.
« Ainsi se trouvent réunis dans la manifestation d’aujourd’hui les survivants de ces deux instants historiques.
« Et cette réunion voulue le 6 novembre 1960 ne sera pas sans lendemain…. »
Ces paroles ont été entendues par une assistance de plusieurs milliers de personnes. La cérémonie du 6 novembre 1960 a été relatée dans la presse régionale. Qu’en a-t-il été retenu ? Dès le surlendemain on lisait dans un journal :
« Les Anciens Combattants venus de l’Aisne, du Nord, de Paris, de Belgique, se sont recueillis avec ferveur devant la Pierre d’Haudroy, ce granit du Souvenir portant fièrement l’inscription célèbre :
« ICI TRIOMPHA LA TENACITE DU POILU » .
« Là où le clairon Sellier sonna la fin d’une des plus grandes tourmentes de l’histoire, les A.C. ont eu une pensée émue pour ceux qui tombèrent pour la patrie. »
Ainsi ont été escamotés les derniers combats et oubliés les morts et les blessés des 10 et 11 novembre. Un exemple parmi d’autres …
Brochure rédigée en 1986-1987 par Marcel Chancé A.C. 1914-1918 |